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Mardi 18 octobre 2016 à 18h
à Orléans – Cercil-Musée Mémorial des enfants du Vel d'Hiv

/// Conférence

Les orphelins du Billet vert
par Nathalie Zajde, maître de conférences en psychologie à l’Université de Paris VIII Saint-Denis. Chercheuse et clinicienne au Centre Georges- Devereux, auteure de Guérir de la Shoah, 2005 et Les enfants cachés en France, 2012, parus aux Éditions Odile Jacob

« Simon s’en souviendra jusqu’à la fin de ses jours : le 14 mai 1941 comme d’habitude, avec son copain Henri, ils prennent la rue des Minimes (Paris 3e) pour rentrer de l’école. Les deux amis dépassent des autocars sta­tionnés devant la caserne. Des hommes sont assis à l’intérieur. Simon n’y fait pas trop attention. C’est Henri, le plus curieux qui observe toujours tout, qui lui dit :
- Tiens ! J’ai vu ton père assis dans le bus !
- Ça m’étonnerait ! Mon père, y sort jamais de son atelier.
Simon ne ment pas. Son père passe ses journées devant sa machine à coudre. Il ne lui est arrivé de quitter l’atelier qu’une fois en pleine journée. C’était lorsque Simon a reçu le prix d’excellence, l’an passé. Ce jour-là, il était drôlement fier le papa de Simon ! Lui qui était arrivé de Pologne en 1928, qui parlait mal le français avec un accent yiddish à couper au couteau. Lui qui travaillait sans relâche et rêvait que ses trois enfants, tous nés à Paris, réussissent de brillantes études supérieures. Mais Henri insiste.
- J’te jure, c’est ton père que j’ai vu !
Alors Simon, incrédule, fait tout de même demi-tour et effectivement, il aperçoit son père, la tête penchée, l’air soucieux, le front contre la vitre. Qu’est-ce qu’il fait là ? En plein jour ? Dans un autocar ? Soudain, il lève les yeux et aperçoit son fils qui le regarde. D’un air énervé, il lui fait signe de rentrer vite à la maison. Simon s’exécute. Sans doute a-t-il eu peur que l’enfant ne soit arrêté à son tour. Il voulait peut-être aussi que Simon prévienne sa mère, afin qu’elle prenne ses dispositions. Simon n’a plus jamais revu son père. Ce jour du billet vert, c’est le jour où tout bascule dans la vie de cet enfant de 9 ans, dont les deux parents juifs polonais émigrés ne reviendront pas de déportation. Le 14 mai 1941, Simon, comme des milliers d’enfants juifs parisiens vit, dans sa chair, le com­mencement de la Shoah en France » . Nathalie Zadje
Organisée dans le cadre de l’exposition Héritiers

Suivie d’une projection

Les enfants de la Nuit
Film de Frank Eskenazi et François Lévy-Kuentz, 50 min, The Factory Productions, 2014

La « deuxième génération », ces enfants élevés par des parents revenus des camps, n’a jamais pris la parole pour elle-même. Elle fut pourtant la génération de tous les cris, des cauchemars, témoin d’une volonté avide de vivre et de malheurs impossibles à partager. Elle est la génération témoin entre les déportés et nous. Pour la première fois, un film lui est consacré.
En présence du réalisateur Frank Eskenazi